ODE À LA VIE

Par Marguerite Pilven, critique d’art

Marie‐Laure Viébel crée des sculptures rondes et sensuelles. Illuminées par la feuille d’or, irisées par le verre de Murano ou satinées par le bronze voluptueux, toutes proviennent d’une même forme d’origine : le coco de mer, trésor exclusif des Seychelles que l’on trouve principalement sur l’île de Praslin. Viébel a été éblouie par cette graine d’un brun mat qu’elle a eu l’idée de métamorphoser en lui apportant la lumière. Son apprentissage dans un atelier de dorure l’a initié aux secrets de la technique « à la détrempe ». Un procédé qu’elle se réapproprie pour transcender la graine dans ce matériau précieux. De l’Orient à l’Occident, l’or appliqué sur un objet lui donne une valeur d’exception (sarcophages égyptiens, icônes…). Prélevée de son contexte naturel, la graine amorce entre ses mains une trajectoire spirituelle.

Cette relique du monde végétal est connue pour ses formes suggestives évoquant l’anatomie humaine. Sa fente centrale rappelle celle qui orne les bas‐ventres des divinités archaïques de la fertilité en Grèce, en Asie et surtout en Afrique Noire où leur pouvoir s’associe étroitement à la fertilité du sol. Le bronze que Viébel emploie pour certaines pièces suggère un retour à la terre‐mère, génératrice et sustentatrice de tout ce qui vit. D’autres civilisations ont vu en cette graine aux formes opulentes un symbole de prodigalité. Les iraniens en ont fait des bols d’aumône, ou « Kashkul », attribut des derviches. En Inde, elle sert parfois de récipients pour transporter l’eau sacrée du Gange.

Sondant ces trajectoires multiples, Viébel s’inscrit dans l’histoire polymorphe de cette graine et s’en inspire. Ses sculptures sont autant de réceptacles où résonnent ses souvenirs de voyages, son goût pour les civilisations anciennes et pour l’art sacré. Une trajectoire que l’exposition accompagne en les faisant dialoguer avec des objets issus d’autres cultures. Montées sur socles, elles rappellent les masques rituels qui permettent à des sociétés traditionnelles d’entrer en contact avec leurs ancêtres pour rechercher leur protection. Cette fonction bienfaitrice de transmission est aussi celle des « graines de vie » qui nous fascinent par leur forte présence.

Au fil d’un travail lent et méticuleux proche de celui de l’artisan, Viébel fait saillir la beauté inhérente à la graine. Le dessin qu’elle réalise s’adapte à ses formes, issu d’un dialogue sensible avec ses qualités physiques. Tel un trophée, chaque sculpture marque l’accomplissement de cette rencontre féconde. Le yin‐ yang chinois qui orne parfois leur surface évoque directement ce mystère de la création lié à l’interaction de deux éléments. Cultivant le terreau fertile de l’histoire de l’art, Viébel adresse aussi des clins d’oeil à ceux qui, dit‐elle, « lui ont ouvert les yeux » ; des artistes qui se sont tournés vers les cultures lointaines pour retrouver, dans leur caractère intemporel, l’essence de l’émotion esthétique : Pierre Soulages avec les statues‐menhirs du Rouergue, Zao Wou‐Ki avec une peinture chinoise plusieurs fois millénaire.

Prenant le végétal pour point de départ, Viébel met en retrait sa subjectivité et se laisse porter par les associations d’idées que la graine lui « dicte ». L’importance qu’elle accorde à son objet comme source d’inspiration la rapproche aussi du surréalisme (*). Ce mouvement s’est intéressé à la puissance évocatrice d’éléments naturels qui, suscitant une émotion vive, exaltent l’imaginaire et le désir. Un choc vital qui s’exprime avec force dans les sculptures de Viébel et vient toucher nos esprits.

* : André Breton parle d’une « conscience poétique des objets » qui ne se révèle « qu’à leur contact spirituel mille fois répété. » L’objet surréaliste, Emmanuel Guigon, p. 11, Ed. Jean Michel Place.